Le Monde : A Paris, des « forêts urbaines » entre béton et bitume

Par Grégoire Allix (Le Monde, Service Économie)

ANALYSE
Des « forêts urbaines » sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, derrière l’Opéra Garnier, devant la gare de Lyon et sur les berges de la Seine : l’annonce de la maire (PS) de la ville, Anne Hidalgo, le 13 juin, dans Le Parisien, a fait tomber de leur arbre non seulement les élus parisiens, qui l’ont appris dans la presse au moment même où se tenait une séance du conseil municipal, mais aussi bon nombre d’amoureux de l’urbanisme et de défenseurs de l’environnement dans la capitale. Quelques arbres plantés serrés sur la dalle d’un parking souterrain font-ils une forêt, même urbaine ? L’ironie était facile, la moquerie tentante.

Plus sérieusement, le coup de communication, orchestré dans la foulée du bon score des Verts aux élections européennes, sonnait pour beaucoup comme une provocation : de grands espaces boisés en pleine terre, les associations écologistes, les partis d’opposition et les collectifs de riverains désespèrent d’en voir pousser un jour, notamment dans les quartiers populaires du nord et de l’est de Paris.

Dépourvue de grands parcs intra-muros, Paris affiche un ratio de nature par habitant inférieur de moitié aux 10 mètres carrés prescrits par l’Organisation mondiale de la santé. Au-delà de l’agrément et du décor, le rôle des arbres est essentiel pour fixer le CO2, absorber les particules fines, ombrager la ville et la rafraîchir en luttant contre les îlots de chaleur urbains, en particulier pendant les épisodes de canicule, que multiplie le changement climatique.

Des arbres, l’équipe de Mme Hidalgo en plante, et c’est heureux : 20 000 nouveaux spécimens sont programmés pendant la mandature, sans compter le remplacement de certains des 200 000 arbres déjà présents dans la ville ni les 300 000 arbres des bois de Boulogne et de Vincennes. Depuis 2014, très exactement 16 287 plants avaient déjà été mis en terre à la mi-juin dans les rues, les squares, les cours d’école, selon la municipalité.

Mais, pour les associations écologistes, la ville ne cesse d’artificialiser les sols, de les imperméabiliser et d’y insérer des arbres en pot qui peinent à se développer entre béton et bitume, leurs racines emprisonnées dans des fosses de 12 mètres cubes. Paris deviendrait ainsi la championne d’une nature hors sol, toitures végétalisées et arbres « jetables » qu’il faut remplacer régulièrement et qui ont peu de chances de rendre les mêmes services écologiques que des arbres en pleine terre.

Les « forêts urbaines » de l’Opéra et de l’Hôtel de Ville, comme la création d’un parc, annoncée au mois de mai, entre le Trocadéro et le Champ-de-Mars, avec ses arbres plantés – nul ne sait par quel miracle – sur le pont d’Iéna, s’apparentent surtout, pour les contempteurs de Mme Hidalgo, à un verdissement cosmétique des beaux quartiers.

Belleville, Brassens, Citroën, Bercy : les derniers grands parcs ouverts par la Ville de Paris datent des années 1980 et 1990, et des mandats de Jacques Chirac et de Jean Tiberi. Depuis, à l’exception du parc Martin-Luther-King et du jardin d’Eole – aménagé sous la pression des habitants –, c’est par addition de petits squares, oasis souvent précieuses d’un hectare ici ou là, que chaque mandature a pu revendiquer la création d’espaces verts – Mme Hidalgo annonce un bilan de 40 hectares supplémentaires pour 2020.

Modestes jardins

Alors que les friches SNCF, dernières grandes réserves foncières de la capitale, seraient le terreau idéal de grands parcs boisés, leur urbanisation ne programme que de modestes jardins : 2,5 hectares de verdure sur les 18 hectares aménageables de la ZAC Bercy-Charenton ; 3,5 hectares pour le parc Chapelle-Charbon, « poumon » des 200 hectares de l’opération Paris-Nord-Est (la municipalité assure que ce n’est qu’une première phase)…

La ville a progressivement abandonné la règle non écrite qui imposait de consacrer 30 % de chaque opération d’aménagement à des espaces verts. Pire, au fil des révisions des règles d’urbanisme, les limites de densité ont été supprimées et les 50 % minimum de sols en pleine terre à conserver en cœur d’îlot ont été abolis. Résultat : plus rien ou presque n’empêche d’ajouter des bâtiments dans les interstices du tissu urbain, fût-ce en coupant des arbres. Et des arbres, Paris en abat par dizaines dans les chantiers de la capitale. La Ville répète que les promoteurs doivent payer jusqu’à 10 000 euros par spécimen supprimé, qu’elle ne coupe que le minimum nécessaire, qu’elle en replantera bien plus qu’elle n’en a rasé. Mais là où Mme Hidalgo promet des forêts urbaines, les associations parlent de déforestation.

Vendre du foncier à des promoteurs remplit les caisses de la Ville, quand créer des parcs les vide. La philosophie de l’équipe Hidalgo, incarnée par les appels à projet du type « Réinventer Paris », consiste à faire financer bon nombre d’équipements d’intérêt public en les incluant dans des opérations de promotion privée. Pas de quoi favoriser l’ouverture de grandes trouées de nature. La municipalité propose même aux investisseurs de bâtir sur de l’espace public, comme la place Mazas, dans le 12e arrondissement, pourtant plus facile à boiser que le parvis de monuments historiques.

Derrière la polémique sur la place des arbres, c’est la densification de Paris qui est en jeu. Et qui promet d’être un des thèmes majeurs de la prochaine municipale. L’équipe Hidalgo défend que la ville a besoin de logements, de crèches, de gymnases… Les écologistes, comme La France insoumise et une partie de la droite, estiment que Paris est déjà trop dense, trop peuplée, et que c’est sur le Grand Paris que le développement doit désormais se porter, pour laisser la capitale respirer. Respirer : le titre du livre-programme de Mme Hidalgo, publié il y a à peine un an…